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Décryptage

Crédit immobilier : la galère sans nom des entrepreneurs

Alors que 44 % des Français souhaitent devenir propriétaires d'un bien immobilier, les travailleurs indépendants sont fortement désavantagés, en raison de leur activité professionnelle jugée instable par les banquiers. On décrypte ce phénomène avec deux fondateurs de start-up qui ont dû abandonner ou repousser leur projet d'achat.

Souscrire un crédit immobilier aujourd'hui est de plus en plus difficile.
Souscrire un crédit immobilier aujourd'hui est de plus en plus difficile. (Getty Images)

Par Lucile Meunier

Publié le 28 avr. 2022 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

Robin Collet a mis toutes les chances de son côté. Fondateur depuis 2021 de la start-up Cybille, spécialisée dans l'accompagnement au deuil, cet entrepreneur de 26 ans a préparé un dossier solide pour obtenir un crédit immobilier et acheter un appartement à Rennes : « J'ai construit tout un business plan expliquant pourquoi je voulais investir et j'avais calculé la rentabilité de cet investissement. J'ai vu quatre banques qui m'ont expliqué qu'elles n'avaient jamais vu un dossier aussi complet. »

Il faut dire que Robin a baigné dans cette culture : « Ma mère avait plusieurs appartements qu'elle louait et elle m'a initié à la gestion. Plus tard, j'ai suivi une formation sur la fiscalité de l'immobilier », ajoute-t-il.

« On m'a tout de suite demandé un bilan »

Malgré ces expériences et des revenus stables de 2.200 euros nets par mois, le chef d'entreprise n'a pas réussi à obtenir la confiance des quatre banques sollicitées, à cause de son statut d'indépendant, jugé trop incertain.

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Autoentrepreneur, « on m'a tout de suite demandé un bilan, que je n'avais pas ». Finalement, il a décidé de repousser son projet, après avoir beaucoup investi dans son entreprise.

Alors que 44 % des Français aspirent à acquérir un bien immobilier dans les cinq prochaines années, l'accès au crédit bancaire est encore très inégalitaire. Les moins bien lotis sont encore les ouvriers, selon l'Insee . De 1968 à 2014, la part des propriétaires au sein de cette classe sociale n'a augmenté que de 6,1 %, contre 12,4 % pour l'ensemble des ménages et 22,9 % pour les cadres. Les artisans, commerçants et chefs d'entreprise sont les deuxièmes moins avantagés, avec une augmentation de 11,3 % sur la même période.

Une tendance qui peut surprendre, alors que les travailleurs indépendants sont de plus en plus nombreux (leur nombre a crû de 3,3 % par an entre 2009 et 2019). Selon une étude du courtier Vousfinancer parue en 2021, seulement 6 % des emprunteurs sont des indépendants (autoentrepreneurs, chefs d'entreprise, artisans, commerçants et professions libérales), alors qu'ils représentent environ 7,5 % de la population active . Pour ces chanceux, l'obtention du crédit s'est faite à une condition : fournir un bilan de trois ans minimum.

Les start-up désavantagées

C'est précisément le point faible du dossier de Laure Bouguen, la fondatrice de Ho Karan , une marque de soins naturels à base de chanvre. Malgré ses 4.000 euros par mois de revenus nets, la cheffe d'entreprise ne peut pas emprunter. « Les banquiers m'ont dit que j'étais un cas désespéré », lance-t-elle. Alors qu'elle a fondé son entreprise en 2015, l'entrepreneuse avait choisi de devenir salariée en CDI de son entreprise depuis cinq ans. Mais en 2021, pour pouvoir diversifier ses activités, elle crée un holding (qui facture à Ho Karan) et retrouve parallèlement son statut d'indépendante.

Une décision qui n'était pas du goût des banques… « Ce changement m'a permis de doubler mon salaire. Et pourtant, lorsque j'ai voulu acheter un appartement à Marseille, on m'a demandé trois ans de chiffre d'affaires sur mon holding. Les chiffres de Ho Karan ne comptaient pas. Quand j'étais salariée, on me disait que je ne gagnais pas assez et maintenant, on me répète que mon holding n'a pas trois ans d'activités. Ça ne donne pas du tout envie d'entreprendre », lance-t-elle avec un sentiment d'injustice.

Christophe Vielpeau, notaire associé à Meaux et membre de la mission de développement du Conseil supérieur du notariat, décrypte cette exigence : « Les banquiers ont besoin qu'on les rassure. Il faut avoir suffisamment de marge de manoeuvre sur le bilan pour pouvoir rembourser. » Cet expert en immobilier insiste surtout sur l'importance du montage financier du projet. « Il faut faire un business plan solideavec un prévisionnel et, le cas échéant, déterminer la personne ou la structure qui va se porter propriétaire des murs », précise-t-il.

Afin de faciliter le financement lorsque l'apport financier est insuffisant, des solutions existent : « L'établissement bancaire peut acheter un bien à la place de l'entreprise, qu'elle lui loue dans le cadre d'un crédit-bail immobilier. La société paie une redevance, comme un crédit-bail, et au bout d'une certaine durée, l'entreprise peut lever l'option et devenir propriétaire. Ça permet de diminuer les risques pour les banques. Mais lorsqu'on a besoin de faire des travaux, par exemple, il est nécessaire d'obtenir l'accord du crédit-bailleur qui est propriétaire du bien au début du projet. »

Des banquiers exigeants

Depuis janvier 2022, les critères d'accès à la propriété se sont récemment durcis, à l'initiative du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) . Les nouvelles conditions d'octroi indiquent que le taux d'endettement des ménages doit être de 35 % maximum pour des prêts de 25 ans maximum.

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Outre la situation personnelle, parfois c'est la nature du projet entrepreneurial qui bloque les banquiers. Laure Bouguen en a fait les frais, lorsqu'elle a voulu investir dans un centre de soins à Paris pour sa marque Ho Karan. « Je n'ai obtenu aucun fonds par les banques car elles refusent de financer des produits à base de chanvre. » L'entrepreneuse s'est donc tournée vers des business angels, ce qui lui a permis de payer la location du local et les nombreux travaux, pour un total de 400.000 euros.

Se faire accompagner

39 % des Français ont aujourd'hui recours à un courtier pour obtenir un crédit immobilier. Un chiffre qui a augmenté de 10 points depuis 2015.

Lucile Meunier

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