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Gay, lesbienne ou non-binaire : des chef.fes d'entreprise pas si différents

L'orientation sexuelle ou l'expression de genre influence-t-elle son choix d'entreprendre et son style de management ? Si les entrepreneuses et entrepreneurs LGBTQI+ sont soucieux de rentabilité, elles et ils attachent une grande importance au respect de toutes les différences.

Etre patronne ou patron LGBTQI+, est-ce être une cheffe ou un chef d'entreprise comme les autres ?
Etre patronne ou patron LGBTQI+, est-ce être une cheffe ou un chef d'entreprise comme les autres ? (Getty Images/EyeEm)

Par Yves Vilaginés

Publié le 15 déc. 2022 à 06:20

« Je suis non-binaire. Je m'habille comme une femme, c'est mon expression de genre, mais j'ai une voix de mec. » Françoise Bouyer met les choses au clair dès les premières minutes de notre entretien. Pour cette cheffe d'entreprise, pas question de faire semblant. Elle affiche sa différence, la revendique, la vit pleinement, avec bonheur. « No bullshit », comme le dit elle-même.

Etre patronne ou patron LGBTQI+, est-ce être une cheffe ou un chef d'entreprise comme les autres ? Dans cet article, nous utiliserons le sigle LGBTQI+ pour désigner l'ensemble de la communauté : lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe, etc. sauf lorsque des interlocuteurs ou des rapports font référence à d'autres versions du sigle.

« Business is business » certes, mais quand on crée une entreprise ou qu'on dirige une PME, cette différence change-t-elle quelque chose dans son projet entrepreneurial et dans son management ? Sans doute quand cette différence est visible. Mais pour la plupart des personnes LGBTQI+, l'orientation sexuelle reste encore du domaine privé, soit par choix soit par crainte d'une discrimination.

Faire son coming out ou pas ?

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Comment un patron ou une patronne LGBTQI+ vit sa différence en entreprise ? Pour le savoir, je suis allé à la rencontre de Françoise, Olivier et Maud. Tous trois ont fait leur « coming out » professionnel. Tous trois dirigent des entreprises. Françoise Bouyer a cofondé en 2002 BeThe1, un cabinet conseil en recrutement dans le luxe. Olivier Draeger a repris en 2000 les éditions Yvon, renommées depuis « Draeger », une entreprise familiale de carterie. Maud Grenier vient, elle, de créer People Pro, un cabinet de conseil en RH.

« Vous ne devriez pas travailler avec Untel, il est gay. » Nous sommes au début des années 2000. Olivier Draeger a 25 ans et vient tout juste de rejoindre l'entreprise familiale, héritière de l'imprimerie Draeger fondée par son aïeul en 1886. Un de ses fournisseurs le met en garde « en toute discrétion ». Soupçonne-t-il qu'Olivier est gay lui aussi ? Impossible de le savoir. Ce ragot anti-concurrentiel, stigmate d'une homophobie ordinaire, résonne dans la tête du jeune chef d'entreprise comme un avertissement, presque comme une menace.

« Je ne voulais pas que mon orientation sexuelle ait une influence sur la marche de l'entreprise. Je ne voulais pas risquer le dénigrement. » Olivier Draeger relate son histoire personnelle avec pudeur, comme s'il hésitait encore à se dévoiler. Son coming-out, il le fait d'ailleurs par étapes : d'abord auprès de quelques amis, puis de ses parents qui lui rappellent que « ce que tu fais nous engage », enfin auprès de ses trois soeurs qui s'étonnent qu'il ne l'ait pas dit plus tôt. Lui qui se faisait « une montagne » de cette différence se rend alors compte que « tout le monde s'en fout » parmi ses proches. Mais au travail, il ne dit encore rien, parce que, pour lui, on n'étale pas sa vie privée au bureau. Avant de changer d'avis…

Menaces et insultes envers des commerçants

Ne rien dire, c'est quelque chose de plutôt habituel, selon Olivier Mokaddem, fondateur d'une agence de « psychologie des usages » pour les marques. Entre 2012 et 2018, il a rencontré des dizaines d'entrepreneurs de la communauté LGBTQI+ dans le cadre d'une étude. Et il fait la distinction entre celles et ceux qui s'adressent à une clientèle LGBTQI+ et les autres. « Pourquoi un entrepreneur du bâtiment irait le crier sur les toits ? Dans certains métiers, cela n'a pas d'importance de le dire. » A y regarder de plus près, ce silence recouvre deux motivations très différentes : préférer être jugé sur son professionnalisme et éviter d'être discriminé.

Maud Grenier est une entrepreneuse de 35 ans. Pendant de longues années, elle s'est inventée une deuxième vie, pour ne pas devoir se dévoiler auprès de sa famille et de ses contacts professionnels. « Je me cachais », avoue-t-elle. En 2015, elle crée une première entreprise, une plateforme de mise en relations entre entreprises et étudiants pour des recherches de stages à l'international. « A l'époque, je n'ai jamais dit que j'étais avec une femme, par peur de perdre du business. »

Les discriminations envers les personnes LGBTQI+ dans les entreprises sont une réalité, pas seulement une peur, comme le mesure chaque année SOS Homophobie. La plupart concernent des salariés , mais ce peut aussi être « des commerçant.es vers les client.es, et inversement », précise le rapport annuel 2022 de l'association. « Chaque année, nous recevons des témoignages de commerçant.es qui se font agresser dans leur propre boutique par des client.es LGBTIphobes. » Ce sont aussi des actes de vandalisme, comme lorsque la devanture d'un bar à Amiens taguée de menaces. Ou encore des insultes comme quand ce propriétaire de local commercial venu réclamer le loyer en retard de sa locataire se voit gratifier d'un : « Fais pas chier, l'homo. »

Au travail, des discriminations stigmatisantes

« La mentalité lourdingue, les blagues machistes », Maud Grenier connaît. Alors qu'elle gérait les RH d'une start-up à Paris, elle finit par mettre le sujet sur la table pour créer, dit-elle, « un environnement plus inclusif ». Cette démarche l'incite aussi à faire son coming out professionnel. Et puis lorsqu'en 2021, elle crée pour la deuxième fois une entreprise, le cabinet People Pro, elle fait même son coming out sur le réseau professionnel LinkedIn. Son post sera « liké » 3.000 fois. Elle reçoit des messages de soutien, surtout de femmes. Mais aussi des commentaires « de haine, par exemple que mon rôle était de faire des enfants, que j'allais être la cause de la fin du monde… »

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Dans le monde du travail, il faut également supporter « les remarques LGBTIphobes sous couvert de sens de l'humour douteux », et des ragots qui peuvent dégénérer en outing, c'est-à-dire un dévoilement de son orientation sexuelle sans consentement. « L'expérience douloureuse des LGBTIphobies au travail est stigmatisante, ajoute le rapport de SOS Homophobie. Elle provoque un effet de dépréciation professionnelle comme si une personne LGBTI ne pouvait pas, à poste égal, posséder les mêmes qualités et compétences qu'une autre. » Il faut de la force de caractère pour oser affirmer sa différence dans le monde professionnel, au risque d'affronter l'ostracisme de certains de ses collègues, et quand on est entrepreneur de compromettre un contrat…

Avant de se revendiquer comme non-binaire, Françoise Bouyer a elle aussi travaillé de longues années dans des entreprises de la mode et du luxe. « J'étais considérée comme un être extrêmement féminin », précise-t-elle, lorsqu'elle se remémore sa vie passée de dirigeant dans les habits de François. « Je travaillais dans la mode, j'étais libre sur l'habillement. J'étais marié avec des enfants. Personne ne comprenait, moi la première. » Il lui aura fallu d'abord s'accepter avant d'oser un coming-out professionnel. En février 2020, elle envoie un message vidéo à tous ses clients et partenaires, soit près de 180.000 contacts. Habillée en robe, elle conclut face caméra par : « François serait plus heureuse que vous l'appeliez Françoise. » Elle reçoit 1.500 messages de félicitations et deux messages « extrêmement désobligeants ».

2/3 des Français pour l'inclusion LGBT+ en entreprise

Parmi les principales motivations des personnes qui créent une entreprise, on trouve l'indépendance, le désir de réaliser un rêve, de donner du sens à son projet professionnel... A ce moment de l'enquête, je me pose la question suivante : les personnes LGBTQI+ seraient-elles plus entreprenantes que les autres ? Pour échapper aux discriminations, pour servir leur communauté, pour avoir un impact… Aucune étude n'apporte de réponse définitive, mais Olivier Mokaddem, le consultant qui a conduit une enquête sur le sujet approuve : « L'entrepreneuriat est une façon de se construire, c'est une émancipation personnelle, et, pour certains, une forme de résilience. Etre en marge, à la périphérie aurait dit Pierre Bourdieu oblige à être créatif. »

La volonté d'impact, l'envie de changer le monde, de faire bouger les choses, l'ouverture à l'altérité est aussi un marqueur fort. Françoise Bouyer se dit « hyper sensible » aux différences : racisée, de handicap, d'apparence… elle les défend toutes, auprès de ses clients mais aussi au « Global Diversity, Equity & Inclusion Advisory Board » de L'Oréal et chez Amnesty International. « La seule richesse que je vois, on la trouve dans la différence. Si vous voulez recruter des jeunes aujourd'hui, il faut porter ces valeurs. »

Les temps changent : la génération Z est à la fois très entreprenante et l'une des plus LGBTQI+ tolérantes. Une étude internationale conduite par Ipsos en 2021 montre que 4 % des jeunes de la génération Z ne se reconnaissent dans aucun des deux genres, contre 1 % chez les plus âgés. En France, cette même étude révèle que 8 % des personnes se disent exclusivement, et 1 % principalement, attirées par des personnes du même sexe. Si l'affirmation de soi progresse, l'acceptation également. Deux tiers des Français considèrent que l'entreprise doit tout faire pour favoriser l'inclusion LGBT+, selon un sondage Ipsos - L'Autre cercle réalisé en septembre 2022.

Peu d'entrepreneurs ouvertement LGBTQI+

Le coming out professionnel d'Olivier Draeger se fera par email. En juillet 2015, il écrit à tous ses salariés et à la plupart de ses fournisseurs. « J'ai eu des retours super positifs. Je n'ai identifié qu'une seule personne avec qui la relation s'est tendue. » En 2019, il engage son entreprise dans une démarche inclusive. Draeger a signé la Charte de la diversité, et un an plus tard la Charte d'engagement LGBT+ L'autre cercle . Cette association oeuvre pour la visibilité et l'inclusion en milieu professionnel. « Je ne me vois pas comme un porte-étendard, mais ces valeurs de tolérance et de bienveillance sont des sujets clés pour moi », précise Olivier Draeger. Son entreprise est devenue au fil des ans une ETI de 400 personnes et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ces chartes sont désormais des outils de management et de communication. Cette année, Olivier Draeger est aussi devenu rôle modèle de l'association L'Autre cercle.

Aller plus loin, Maud Grenier y réfléchit également. Elle envisage de lever des fonds pour développer sa start-up et aimerait que ses futurs investisseurs soient alignés avec ses valeurs. Elle regrette qu'il n'existe pas de fonds d'investissement ciblés sur les business LGBTQI+ comme il en existe certains dédiés aux projets portés par des femmes ou des équipes mixtes. Enfin, Maud Grenier souligne le manque de modèles : « Je ne pourrais pas citer un ou une entrepreneuse LGBT. Ces personnes, on ne les voit pas. » A quand donc un David Geffen, une Ellen DeGeneres ou un Peter Thiel en France ?

Contre les discriminations, pour l'inclusion : SOS homophobie et L'Autre cercle

Les discriminations envers les personnes physiques et morales sont caractérisées par l'article 225-1 du Code pénal. Elle sont fondées, entre autres, sur l'origine, le sexe, l'âge, l'apparence physique, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, etc. L'article 225-2 précise qu'il peut s'agir de refus de fourniture d'un bien ou d'un service ; d'une entrave à l'exercice normal d'une activité économique : d'un refus d'embauche ; de la subordination de la fourniture d'un bien, d'un service, d'un emploi, d'un stage… La discrimination est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende.

Deux associations interviennent sur ces questions. SOS Homophobie, créée en 1994, a mis en place un service téléphonique d'écoute des victimes d'actes de discrimination. Elle publie tous les ans un rapport détaillé. Et a développé, à destination des entreprises, une boite à outils pour sensibiliser ses employé.es aux LGBTIphobies. L'Autre cercle, créée en 1997, oeuvre à l'inclusion et à la diversité dans le monde du travail, mais également à la visibilité. Elle publie un Observatoire et propose également des formations aux entreprises.

Yves Vilaginés

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