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Le marché du travail résiste, malgré la croissance en berne

En métropole, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité est repassé sous la barre des trois millions au premier trimestre, ce qui ne s’était pas produit depuis dix ans.

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Publié le 28 avril 2022 à 12h10, modifié le 29 avril 2022 à 12h02

Temps de Lecture 5 min.

Une agence Pôle emploi, à Bordeaux, le 8 février 2022.

Pour le moment, les bonnes nouvelles continuent de tomber sur le marché du travail, en dépit du coup de froid qui s’est abattu sur l’économie. Au premier trimestre, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) a diminué de 5 % sur la totalité du territoire – outre-mer compris, sauf Mayotte –, selon une note publiée, jeudi 28 avril, par la Dares, la direction chargée des études au ministère du travail. Cet indicateur se situe désormais à 3,19 millions et repasse même sous la barre symbolique des trois millions (à 2,96 millions), si l’on ne prend en compte que la métropole, ce qui est sans précédent depuis dix ans. Des résultats flatteurs, de nature à conforter Emmanuel Macron dans sa volonté d’éradiquer le chômage de masse à l’occasion de son second mandat.

Les évolutions sont favorables pour toutes les tranches d’âge, en particulier pour les inscrits dans la catégorie A de Pôle emploi qui ont moins de 25 ans : – 10,8 % entre début janvier et fin mars dans l’Hexagone, le recul étant encore plus marqué sur un an (– 25,4 %). Une tendance en partie imputable à l’afflux d’apprentis : les patrons en ont recruté beaucoup, grâce aux aides massives accordées depuis l’été 2020 qui rendent cette main-d’œuvre presque gratuite.

Le tableau d’ensemble plutôt encourageant doit toutefois être nuancé. Il y a de plus en plus de femmes et d’hommes qui recherchent un poste tout en exerçant une activité réduite (catégories B et C) : + 0,6 % durant le premier trimestre et + 4,7 % en une année (en métropole). Il est probable qu’une partie des personnes, auparavant classées dans la catégorie A, en sont sorties en retrouvant un travail à durée déterminée, si bien qu’elles continuent de pointer à Pôle emploi, mais dans les catégories B et C. Autrement dit, leur situation s’est améliorée, grâce à un contrat plus ou moins stable. C’est d’ailleurs pour cette raison que la CGT parle d’une « baisse [de la catégorie A] encore une fois en trompe-l’œil, occultant l’augmentation de la précarité ».

Le fait que les effectifs de la catégorie A continuent de refluer de façon aussi franche au cours des trois premiers mois de l’année était loin d’être acquis. Selon une estimation provisoire diffusée vendredi par l’Insee, l’activité a stagné au premier trimestre : le PIB enregistre une variation de 0 %, du fait, notamment, du décrochage de la consommation des ménages (– 1,7 %). En outre, le nombre de déclarations d’embauche de plus d’un mois hors intérim a très légèrement fléchi entre début janvier et fin mars, d’après l’Urssaf (– 0,5 %).

Emploi plus ou moins précaire

Les « très bons chiffres » communiqués jeudi par la Dares sont « relativement surprenants, car nous sommes entrés dans une période de ralentissement », commente Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Tout se passe, à ses yeux, comme si le marché du travail « restait insensible – à ce stade – à la vague Omicron et aux retombées de la guerre en Ukraine » : renchérissement des prix de l’énergie et de certaines matières premières, désorganisation accrue des chaînes d’approvisionnement, dégringolade du moral des ménages et du commerce de détail… « Tous ces phénomènes devraient nuire à l’emploi puisqu’ils portent atteinte à la consommation, à l’investissement et donc – in fine – à la croissance, complète Mathieu Plane. Si la décrue du chômage se poursuit – de façon un peu contre-intuitive –, c’est que notre économie est devenue moins productive au moins temporairement. » Fin 2021, rappelle-t-il, le nombre de postes était très supérieur à celui de la fin de 2019, « alors même que l’on venait de retrouver un niveau d’activité à peine supérieur à celui d’avant-crise ». Il faut donc « plus de bras » aujourd’hui pour fabriquer la même quantité de richesses.

Une analyse que partage Gilbert Cette, professeur à la Neoma Business School : « Les bonnes performances en matière d’emploi sont obtenues au prix d’une productivité atone, voire légèrement en baisse, depuis un ou deux ans. » Beaucoup d’entreprises, dit-il, n’ont pas encore renoué avec le niveau de leur production antérieur à la crise sanitaire, mais elles ont préféré garder les salariés qu’elles employaient avant l’épidémie afin de pouvoir répondre aux commandes quand la reprise interviendrait. « Elles se sont en quelque sorte retrouvées avec des sureffectifs, qu’elles ont pu payer grâce à une trésorerie abondante constituée avec les dispositifs de soutien mis en place par l’Etat », remarque-t-il. Pour Gilbert Cette, une telle situation est susceptible de soulever des difficultés si elle persiste, « car on a besoin d’une productivité vigoureuse pour financer la transition écologique, les hausses de salaire, l’adaptation de notre société au vieillissement de la population, etc. »

Professeur à Sciences Po, Philippe Martin met en avant une explication supplémentaire : « Le marché du travail résiste bien aux chocs, liés hier à l’épidémie de Covid-19 et aujourd’hui à l’invasion de l’Ukraine par la Russie », décrypte-t-il. D’après lui, il s’agit d’« une rupture de tendance par rapport aux crises du début des années 2000 et de 2008-2009, qui s’étaient traduites par une aggravation persistante du chômage ».

Le « quoi qu’il en coûte » a bien sûr joué en faveur de cette « résilience » grâce aux multiples aides accordées aux entreprises et aux actifs. « Mais il faut sans doute y voir aussi une conséquence des réformes engagées sous ce quinquennat et avant 2017 pour fluidifier le fonctionnement du marché du travail », souligne Philippe Martin, en faisant référence aux multiples mesures prises depuis une quinzaine d’années : assouplissement des règles pour ajuster les effectifs dans les entreprises, encadrement des indemnisations prud’homales qui donne la visibilité sur le coût d’un licenciement injustifié, instauration de la rupture conventionnelle qui a facilité les séparations entre patron et salarié… « Tout se conjugue pour que la peur d’embaucher soit levée », résume-t-il.

La question qui se pose désormais est de savoir si, malgré ses capacités de résistance, le marché de l’emploi ne va pas finir par être happé dans les vents contraires qui soufflent sur la croissance.

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