Tribune 

Et si Pôle Emploi demandait « qu’est-ce que vous savez faire ? », plutôt que « quel métier cherchez-vous ? »

Julie Asselin

Directrice du marketing chez 365Talents

Pour lutter efficacement contre le chômage, il faudrait répandre la méthode « par compétences », réclame Julie Asselin, de l’agence 365Talents, dans une tribune à « l’Obs ».

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Souvent critiqué pour son manque d’efficacité et ses lacunes en termes d’accompagnement, Pôle Emploi peine à satisfaire les chercheurs d’emploi. Sans remettre en question la légitimité de la plateforme, peut-être serait-il temps de troquer sa vision métier pour une approche basée sur les compétences. Autrement dit, demander aux chômeurs « qu’est-ce que vous savez et aimez faire ?  », plutôt que « quel est votre métier ? »

Quelque 3,5 millions de chômeurs, près de 900 000 offres d’emploi disponibles et une formule presque inchangée : le bilan du marché de l’emploi n’est guère flatteur pour Pôle Emploi. En 2015, la Cour des Comptes pointait déjà son manque d’efficacité, lui qui « ne serait à l’origine directe de la reprise d’emploi que dans 12,6 % des cas ».

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Il serait bien sûr injuste d’en faire un bouc émissaire quand de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. Néanmoins, s’il est un aspect qui n’est pas exempt de reproches, c’est bien son approche de la recherche d’emploi, laquelle repose presque exclusivement sur le métier (son approche par les compétences manque encore de moyens pour véritablement proposer des offres pertinentes et en adéquation avec les profils des candidats).

Vision limitante

Une vision quelque peu limitante, tant il est compliqué pour un conseiller de connaître tous les métiers sur le marché et d’orienter ainsi efficacement les demandeurs d’emploi.

Quelle est la différence entre une l’agence Pôle Emploi de Rouen St-Sever par les compétences ? La première tend à figer une profession dans un ensemble de caractéristiques immuables, alors que les métiers ne cessent d’évoluer d’année en année. Au contraire, se concentrer sur les compétences revient à décloisonner les métiers, en valorisant les savoir-faire et savoir-être en adéquation avec leur évolution. Par exemple, un directeur marketing avec des compétences de leadership pourra se tourner vers une fonction RH importante, car il aura l’expérience du top management et un attrait certain pour l’accompagnement des collaborateurs. Mettre ces qualités en avant, ce qu’il sait faire,E est plus utile que de désigner le cadre rigide de telle ou telle fonction dont il ne pourrait s’extraire.

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L’émergence du digital a clairement accentué cette tendance pour de multiples fonctions, à tel point que la vision compétence s’impose d’elle-même chez un nombre croissant de recruteurs. Une façon de s’accorder avec un temps où les carrières linéaires ne sont plus la norme.

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De façon très simple, en priorisant les compétences, on ouvre le champ des possibles pour tous les demandeurs d’emploi. On s’autorise à découvrir d’autres métiers auxquels on n’aurait pas pensé, mais qui peuvent correspondre aux compétences, hard et soft, développées tout au long d’une carrière. Il n’est plus indispensable de connaître les tenants et les aboutissants de chaque métier pour les conseillers, ni d’éplucher des milliers d’offres pour les demandeurs d’emploi : on cherche ici une opportunité en phase avec nos compétences et appétences, remettant ainsi la notion de plaisir et d’envie au sein de la recherche.

Les choses doivent changer

Par ailleurs, une telle approche facilite et valorise le métier du conseiller qui peut offrir un accompagnement beaucoup plus personnalisé et pertinent en fonction des données qu’il a à sa disposition. Qu’il s’agisse d’orienter les demandeurs d’emploi vers la bonne formation, vers de nouveaux métiers en tension ou de les encourager à entamer une reconversion professionnelle, les options sont bien plus riches que le simple envoi d’une fiche de poste, dont le but n’est pas toujours de s’adapter au projet d’un candidat.

C’est la raison pour laquelle Pôle Emploi devrait alimenter une large base de données reposant sur les compétences et appétences des demandeurs d’emploi. Ces derniers ajouteraient, chaque mois, quelques compétences de plus à leur profil pour maximiser les chances de retrouver un poste.

D’une certaine façon, c’est ce que l’agence Pôle emploi de Rouen St-Sever tente de mettre en œuvre à l’échelle locale avec les publics les plus éloignés de l’emploi, en facilitant leur retour à l’emploi par un accompagnement personnalisé. Cette initiative pourrait inspirer d’autres agences à l’avenir.

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« Notre organisation est trop complexe », déclarait Elisabeth Borne à propos du système français de l’emploi et de tous ses acteurs lors de son discours de politique générale en juillet 2022 à l’Assemblée nationale. Difficile de lui donner tort sur ce point-là, tant les axes d’amélioration sont nombreux. Le projet France Travail, cette concertation nouée par l’exécutif entre tous les acteurs chargés d’aider les chômeurs depuis début septembre prévoit une transformation de Pôle Emploi et de toutes les structures de l’emploi existantes. C’est le signe, s’il en fallait un, que les choses doivent changer.

Reste à savoir quels seront les contours de cette refonte et surtout, quelle sera la place donnée à la notion de compétence dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Pour l’heure, nous ne pouvons que souligner que de plus en plus d’entreprises axent leurs recrutements, leur développement ainsi que leur politique de mobilité sur les compétences. Un réflexe que les collaborateurs devront peu à peu intégrer en apprenant à identifier leurs compétences selon les expériences vécues. En tout état de cause, il nous faudra mettre toutes les chances de notre côté pour tenter d’enrayer la pénurie de talent qui redéfinit peu à peu le rapport que l’on a avec le travail.

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