Publicité
Tribune

Le « quiet quitting », ce n'est pas ce que vous pensez

TRIBUNE // Coach et experte RH, Marjorie Di Placido estime que le mouvement de la « démission silencieuse » n'est finalement qu'une simple application des termes de nos contrats de travail.

« Se limiter aux termes de son contrat de travail pour profiter de la vie n'a rien à voir avec une démission. »
« Se limiter aux termes de son contrat de travail pour profiter de la vie n'a rien à voir avec une démission. » (Dimitri Otis / Getty Images)

Par Samuel Chalom

Publié le 19 sept. 2022 à 13:00Mis à jour le 19 sept. 2022 à 15:28

Un nouveau terme est en vogue depuis quelques mois : le « quiet quitting » ou « silent quitting ». On l'utiliserait aujourd'hui pour parler d'un souhait non exprimé de démission, se traduisant par le fait de ne faire « que » ce qui est inscrit noir sur blanc dans son contrat de travail (missions, droit à la déconnexion et horaires en particulier). En réalité, il s'agit surtout de salariés en recherche d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Nul ne doute que la crise sanitaire que nous venons de traverser et qui perdure y est pour quelque chose. En effet, elle aura bousculé nombreuses de nos habitudes et envies, à commencer par le fait d'être plus proche de ceux que nous aimons ou plus soucieux de notre bien-être. En somme, en prenant plus de temps pour soi.

C'est finalement cette pandémie qui a joué un rôle important dans ces changements de philosophie. Après avoir goûté à une réduction massive du temps de transport durant le confinement, à des moments précieux en famille, à une facilité plus ou moins importante à exercer les mêmes missions en télétravail grâce aux outils numériques, certains ne sont plus prêts à revenir en arrière, époque où leurs vies ressemblaient plus au fameux « métro-boulot-dodo ».

Si à peu près la moitié des actifs aujourd'hui apprécie retourner au bureau, le besoin de concilier vie personnelle et vie professionnelle est resté de son côté très présent pour tout le monde.

Publicité

Démission ou équilibre de vie ?

Il n'en fallait pas plus pour que certains associent ce désir de changement à une envie de départ, allant jusqu'à créer l'amalgame avec la grande démission qui touche de plein fouet la France ces derniers mois (traduite par 20,2 % d'augmentation des ruptures conventionnelles en un an et 520.000 démissions par trimestre en 2022, selon la Dares) .

Pourtant, les deux phénomènes sont bien différents. Se limiter aux termes de son contrat de travail pour profiter de la vie n'a rien à voir avec une démission.

En effet, il y a d'un côté les salariés qui veulent quitter leur entreprise parce qu'ils ne sont plus en phase avec des valeurs, missions ou fonctionnement. Ils en parlent à leurs collègues, famille quand ils ne peuvent pas en parler ouvertement à leur manager. Ils sont alors dans une réelle intention de départ. Et il y a de l'autre côté des salariés qui veulent uniquement que leur journée ne soit pas limitée à une activité professionnelle et ont fait le choix de ne plus faire acte de présentéisme.

Dénoncé massivement depuis quelques années, le présentéisme n'est plus signe d'implication ni même de performance et encore moins d'engagement. Tout comme les besoins évoluent dans le temps, les pratiques également. C'est le cas pour Laurent (son prénom a été modifié), papa d'un jeune garçon de 18 mois, qui m'a expliqué qu'ayant 1 h 45 de transport lorsqu'il se rend chez son client, il quitte dorénavant sans culpabiliser à 17 h son poste pour passer un peu de temps en famille le soir avant de coucher son fils.

Il ajoute qu'il n'aurait pas de difficulté à trouver un autre travail au regard de ses compétences très recherchées, mais il n'est pas dans cette démarche à date. On constate donc bien ici que ce n'est pas une forme de démission que de partir à l'heure, mais uniquement un besoin d'équilibre pour sa vie de famille.

Pour Hélène, c'est différent. Salariée depuis 7 ans dans la même entreprise, elle s'est pliée en quatre pendant la crise pour que son entreprise puisse poursuivre son activité, malgré les difficultés à gérer en parallèle les enfants qui n'avaient plus d'école et sans que ses objectifs mensuels ne soient revus à la baisse.

Aujourd'hui, l'entreprise demande à l'ensemble des salariés de revenir au bureau, sans tenir compte des changements réalisés de leurs côtés pour arriver à tenir le rythme. Dans son cas, c'est le manque de flexibilité de son employeur qui l'oblige à être moins flexible, également concernant les heures supplémentaires. C'est ce que l'on nomme « l'effet miroir ». Elle ne cherche pas à changer de travail : ses missions, son secteur d'activité, ses collègues, tout lui plaît, mais elle doit dorénavant respecter ses horaires au risque de voir ses enfants l'attendre sur le trottoir à la sortie de l'école.

Alors le Quiet Quitting est-il une revendication ? Une punition ? Un signe de mal-être ?

Il semblerait surtout que ce soit un mot « fourre tout » aujourd'hui. Dès lors qu'un salarié se limite à ce qui est inscrit dans son contrat de travail, on va avoir ce besoin de le mettre dans une case, comme un besoin irrépressible.

Un salarié est-il réellement démissionnaire lorsqu'il respecte ce qui est inscrit dans son contrat de travail ou serait-ce notre culture du présentéisme qui reprend ici le dessus ?

Publicité

Il est intéressant ici de se poser simplement la question de l'intérêt du contrat de travail. Cela fait des mois que les entreprises travaillent sur le bien-être des collaborateurs, des mois que nous entendons parler de « QVCT » (qualité de vie et des conditions de travail), de droit à la déconnexion, l'ensemble se retrouvant inscrit dans les contrats de travail.

A quoi sert le contrat s'il ne peut être le garant de pratiques sécurisantes pour les parties signataires ?

Sommes-nous alors dans une société de paraître, de marque employeur « bullshit », si l'entreprise note des conditions d'exercice de ses fonctions pour que cela soit ensuite reproché au salarié, ou qu'il soit jugé comme un « profiteur » dans la pratique ?

Personne ne s'attendra à la fin du mois à un salaire de 3.000 euros quand le contrat de travail mentionne 2.500, alors quelle différence dans les faits avec un salarié qui part à 17 h quand le contrat mentionne explicitement les horaires pour lesquels il est rémunéré ?

Que reste-t-il de l'intérêt d'un contrat s'il ne peut être le garant de pratiques sécurisantes pour l'ensemble des parties signataires ? Le respecter est, au final, d'un côté comme de l'autre, la façon la plus saine de travailler sans avoir besoin de se poser des questions tous les jours.

Travailler pour vivre et non l'inverse n'est pas une démission silencieuse, mais une forme de préservation de son bien-être, physique, mental qui reprend avant tout les règles érigées par l'entreprise elle-même.

Arrêtons de culpabiliser les collaborateurs qui respectent leur contrat, car c'est bien en pointant cela du doigt aujourd'hui que l'entreprise risque au final de les voir partir définitivement…

Marjorie Di Placido, coach de dirigeants et DRH, spécialiste des ressources humaines

Publicité